Azerbaïdjan: encore moins de démocratie mais du caviar toujours plus fin

Par YAEL STRÖMFELD
L’Express

 

Ilham Aliev est reparti fâché, mais alors très fâché, de Strasbourg. Habitué aux louanges convenues de ses courtisans, le despote de Bakou n’a pas apprécié du tout les questions critiques qu’il a dû essuyer de la part des membres de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) ce mardi 24 juin. Aliev a en effet qualifié certains députés européens de ” menteurs “, ” insultant l’Azerbaïdjan “. Alors que des dissidents azerbaïdjanais se faisaient entendre au sein de l’hémicycle strasbourgeois, Aliev est allé jusqu’à insinuer que certains parlementaires étaient téléguidés pour nuire à l’Azerbaïdjan quand bien même son pays est régulièrement montré du doigt pour ses entreprises de corruption des responsables politiques européens.

Résultat de ce courroux, les députés azerbaïdjanais de l’APCE ont été sommés par leur autocrate de prendre les initiatives qui s’imposent afin de faire oublier à l’institution garante des Droits de l’Homme en Europe le piteux palmarès d’un pays classé 156 sur 179 par Reporters sans Frontières et dont l’ombrageux leader est lui-même considéré comme un prédateur de la liberté de la presse.

Parler de l’Arménie pour détourner l’attention

Et pour ce faire, ils ont une recette toute trouvée : crier haro sur l’Arménie voisine, histoire de détourner l’attention de la Communauté internationale. La délégation azerbaïdjanaise de l’APCE est donc brutalement sortie de sa torpeur orientale pour pondre coup sur coup trois projets de résolutions anti-arméniennes centrées sur la question du Haut-Karabagh.

Ce qui est intéressant dans cette manoeuvre de diversion, c’est qu’elle est plus subtile que d’habitude. Deux des résolutions sont en effet trop grossières pour avoir quelque chance de succès : La plus offensive portée par un député azéri (doc. 13535) a été directement retoquée par la présidente de l’APCE le jour même de l’arrivée d’Aliev à Strasbourg. La seconde (doc. 13546) subira sans doute le même sort. Sans surprise d’ailleurs, ce second projet est soutenu par Thierry Mariani, un affidé du régime de Bakou qui s’est récemment distingué par une tribune enamourée où les violations massives des droits de l’Homme par l’Azerbaïdjan semblaient noyées sous une grasse couche d’hydrocarbures. Au demeurant, la presse a déjà brocardé le fait que le Président du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan de l’Assemblée nationale carbure à cette énergie apparemment toujours renouvelable.

Quand deux gros canons masquent un petit sniper

Mais le troisième projet de résolution semble suffisamment anodin pour susciter l’adhésion du plus grand nombre. Signé par aucun Azerbaïdjanais, presque aucun Turc et pas même par Thierry Mariani, ce document de travail proposé par Mme Dora Bakoyannis (Grèce, Conservateurs) établit un parallèle captieux entre la République du Haut-Karabagh et les évènements d’Ukraine et feint de déplorer ” l’absence d’initiative au sein du groupe de Minsk de l’OSCE ” pour appeler à un ” rôle du Conseil de l’Europe dans le conflit du Haut-Karabagh entre ses deux Etats membres “.

Or, à l’instar de Thierry Mariani, celle qui fut maire d’Athènes et Ministre des Affaires Etrangères de son pays est une proche du clan Aliev. Selon la presse grecque, Mme Bakoyannis ne se contenterait pas de son actuel état de membre de l’APCE et viserait le poste de Commissaire européen à l’Energie. Et pour cette fonction, autant se ménager les bonnes grâces d’un Azerbaïdjan qui s’apparente de plus en plus à un émirat influent en Europe, quitte à froisser et le protocole grec, et son ancien parrain Antoni Samaras. Alors pourquoi ce projet de résolution ?

Changer de cadre pour ne pas changer d’attitude

En vérité, l’Azerbaïdjan est au pied du mur dans le cadre des négociations autour du Haut-Karabagh. Premièrement, Aliev refuse obstinément de faire ratifier à Bakou les accords qu’il a signés avec l’Arménie en présence des trois co-présidents du groupe de Minsk – France, Etats-Unis et Russie. Deuxièmement, des voix croissantes s’élèvent pour que les représentants démocratiquement élus du Haut-Karabagh, concernés au premier chef, et qui ont d’ailleurs signé le cessez-le-feu de 1994, soient associés aux négociations ; un point que ne peut entendre Bakou qui a intérêt à maquiller l’affaire, comme le fait Mme Bakoyannis, comme relevant d’un conflit entre deux pays voisins. Troisièmement enfin, et comme une conséquence, Bakou cherche à tout prix à changer le cadre des négociations afin de trouver des Etats tiers plus compréhensifs et moins au fait des palinodies et prétextes divers que le clan Aliev invoque pour ne pas signer une paix définitive avec son voisin karabaghiote.

A cet égard, Bakou mise notamment sur le Conseil de l’Europe où siègent des parlementaires turcs, considérés comme représentants un ” peuple frère “. Est-ce un bon calcul ? Rien n’est moins sûr. D’une part parce qu’Ankara supporte de moins en moins le boulet azerbaïdjanais qui l’empêche de normaliser sa relation à l’Arménie et nuit par là à son image envers l’Occident. D’autre part parce que, comme l’a récemment rappelé la Présidente même de l’APCE, on peut difficilement concevoir de bâtir ” la paix sans dialogue” – une perspective à laquelle Bakou se refuse manifestement à propos du Karabagh comme à propos du traitement infligé à ses propres dissidents. Enfin, parce qu’à moins de déverser encore plus de caviar sur les institutions européennes, il semble désormais ardu pour l’Azerbaïdjan de compter sur un surcroit de mansuétude de la part d’institutions qui l’ont déjà mis au ban de la Communauté internationale. Bref, il n’est pas sûr que les tentatives de Bakou visant à changer de cadre pour ne pas changer d’attitude soient un jour couronnées de succès.

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