Par ARLETTE GROSSKOST (Député UMP), FRANÇOIS PUPPONI (Député PS) et FRANÇOIS ROCHEBLOINE (Député UDI)
Le Monde
La décapitation par l’Etat islamique du journaliste américain James Foley a déclenché à juste titre une réprobation internationale. La plupart des grands médias ainsi que les principaux réseaux sociaux ont immédiatement indiqué qu’ils censureraient les images de l’exécution, au nom de la dignité du journaliste assassiné et afin de ne pas faire de « publicité » à l’organisation criminelle qu’est l’Etat islamique.
Quelques jours auparavant, une exécution somme toute similaire s’est déroulée. Elle a également été dûment filmée par les nervis du régime au nom duquel elle a été perpétrée. Elle est visible sur les réseaux sociaux. La victime était également un civil et ses bourreaux n’avaient même pas l’excuse de pouvoir le considérer comme un propagandiste ennemi. Il est vrai que – avant de le mettre à mort – ils ont pris soin d’affubler leur prisonnier – capturé en jean et en baskets – d’un treillis militaire afin de le présenter comme un agent des forces spéciales adverses.
Cette autre victime de la barbarie se nommait Karen Petrosyan, C’était un paysan arménien et il a été assassiné en direct et sans formalité par des soldats de l’armée azerbaïdjanaise. Les circonstances de son rapt ne sont pas claires et il est fort possible qu’il ait même été enlevé en territoire arménien. Cet épisode a constitué le point culminant de nombreuses escarmouches entre les forces armées arméniennes, azerbaïdjanaises et karabaghiotes sur la ligne de front séparant l’Arménie et le Haut-Karabagh de l’Azerbaïdjan. Ces manœuvres délibérément provoquées par le régime de Bakou avaient pour objectif manifeste de mettre sous pression la partie adverse à la veille d’un énième round de négociations entre les présidents Aliev et Sarkissian à Sotchi à propos de la République autodéterminé du Haut-Karabagh. Elles ont fait une trentaine de victimes de part et d’autre de la ligne de front.
Réagissant au meurtre de James Foley, le président Barack Obama a déclaré que l’Etat islamique était un « cancer » qui « n’a aucune place au XXIe siècle ». Il ne viendrait semble-t-il à personne l’idée de demander aux Irakiens ou au Syriens – qu’ils soient Musulmans, Chrétiens ou Yézidis – d’accepter la férule sanguinaire de l’Etat islamique. A l’inverse, certains diplomates impavides semblent considérer que la République du Haut-Karabagh, peuplée d’Arméniens, devraient retourner sous le joug de l’Azerbaïdjan, un joug duquel elle s’est libérée voici 20 ans aux termes d’une guerre de décolonisation. Cela ne peut en aucun cas être l’objet des négociations en cours. Que cela soit clair pour tous : on ne peut demander aux citoyens d’un Etat démocratique comme le Karabagh de réintégrer le giron d’une dictature comme l’Azerbaïdjan, surtout quand le président de celle-ci déclare que les Arméniens – où qu’ils résident dans le monde – sont les ennemis de son pays.
Le régime d’Ilham Aliev est en effet l’un des plus répressifs de la planète. Régulièrement classé au ban de la communauté internationale par des organisations telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch ou Reporters sans Frontières, le régime azerbaïdjanais constitue une menace pour ses propres citoyens, même ethniquement azéris, comme l’attestent encore les récentes arrestations arbitraires de Leyla et Arif Yunus ou de Rasuf Jafarov. Dans ces conditions, on imagine sans peine le sort qui attendrait les Arméniens du Haut-Karabagh, sort qu’ils ont déjà éprouvé dans les années 1990 où les pogroms organisés par le régime azerbaïdjanais les ont conduits à ériger leur propre Etat indépendant.
Ce qui est clair également – et nous le déplorons – c’est que les négociations actuelles entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont probablement vouées à l’échec. D’une part parce que ces négociations se déroulent en l’absence de ceux qu’elles concernent au premier chef, les citoyens du Haut-Karabagh et leurs représentants démocratiquement élus. D’autre part, en raison de l’attitude inflexible du régime d’Ilham Aliev qui entend revenir aux frontières coloniales instaurées par le pouvoir stalinien, en dépit de la guerre déclenchée et perdue par son pays et de son attitude inacceptable dont témoigne encore l’assassinat de Karen Petrosyan ; Un assassinat qui constitue un crime de guerre et qui justifierait à lui seul de la poursuite d’Ilham Aliev devant une juridiction internationale.